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Les conversations difficiles (deuxième partie) : « Les sentiments »

Dans le premier volet de cet article en trois parties, nous avons cherché à comprendre comment aborder l'aspect le plus évident de toute « conversation difficile » : la pointe de l'iceberg, à savoir la question « Que s’est-il passé ? »

Dans cette deuxième partie, nous retrouvons Peter, Jenny et Andrzej se préparant à affronter une conversation qu’ils redoutent.

Dans leur cas, comme dans toute conversation difficile, les sentiments sont au cœur du problème et le principal enjeu.

Peter ressent de la colère depuis que Michael a commencé à le critiquer ouvertement.

Jenny se sent irritée de devoir continuer à supporter le comportement inacceptable de Mona.

Andrzej est inquiet parce que son directeur de thèse, Tom, ne répond pas à sa demande pour davantage d’implication et de retours d'information.

Pour la plupart d'entre nous, il est difficile d’exprimer ses sentiments, mais ce n’est pas en les ignorant que nous arriverons à résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés ; en effet, ces sentiments referont surface tôt ou tard et créeront d'autres problèmes. Puisque les sentiments sont au cœur du problème, il faut les aborder. 

Premier piège à éviter au moment d’exprimer ses sentiments : porter un jugement ou faire des suppositions. Il est facile de se rendre compte qu’une personne est tombée dans ce piège lorsqu’elle dit : « J'ai le sentiment que... ». Elle exprime alors probablement moins un sentiment qu’une accusation, ce qui n'aidera pas la conversation.

Lorsque Peter dit : « J'ai le sentiment que tu essaies de m'isoler du reste de l'équipe », il n'exprime pas son ressenti ; il fait simplement une supposition sur la raison qui conduit Michael à se comporter de la sorte.

Lorsque Jenny dit : « J'ai le sentiment que tu mets en doute les compétences de tes collègues », elle part du principe que c'est là l'intention de Mona.

De même, lorsque Andrzej dit : « J'ai le sentiment que mon travail ne compte pas pour toi », il présume que Tom ne s'intéresse pas à sa thèse ; il porte également un jugement sur Tom, sous-entendant qu’il n'est pas un bon superviseur.

Si, au lieu d’émettre des jugements et des suppositions, vous pouviez exprimer vos véritables sentiments, personne ne pourrait les contester ou y objecter parce que vos sentiments vous appartiennent.

Exprimer ses sentiments lors d’une conversation difficile est une étape essentielle, qui est loin d’être facile ; il faut procéder avec prudence et honnêteté.

Très souvent, nous nous focalisons sur un seul sentiment, comme la colère, la déception ou le dégoût ; il est toutefois très important de considérer l’ensemble des sentiments que nous éprouvons avant de les exprimer. Éprouvons-nous uniquement de la colère ou avons-nous également le sentiment d’être dépassés ? Sommes-nous simplement déçus ou éprouvons-nous aussi de l’inquiétude ? Sommes-nous seulement dégoûtés ou sommes-nous aussi totalement découragés par une situation conflictuelle au travail ?

Peter est absolument furieux contre Michael. Cependant, lorsque Peter passe outre sa colère et prend le temps de réfléchir, il se rend compte qu'il éprouve également de la rancune et se sent découragé et humilié d’être isolé du reste de l'équipe.

Jenny semble ressentir principalement de l’irritation. Cependant, en y réfléchissant à deux fois, elle pourrait réaliser qu'elle est également exaspérée et indignée par les commentaires désobligeants de Mona sur les autres membres de l'équipe.

Andrzej est très inquiet par le manque de retours de son superviseur, mais il se rend compte aussi qu’il est très découragé et qu’il se sent peu sûr de lui.

Une fois que nous avons identifié nos sentiments, dans toute leur complexité, nous devons également être honnêtes à leur sujet et « composer » avec eux. D’où viennent ces sentiments ? Quelle est l'histoire que nous nous racontons et qui est à l’origine de ces sentiments ? Que ressent l’autre partie ? Très souvent, une meilleure compréhension de l'histoire de l'autre personne modifie notre attitude.

En réfléchissant à la raison pour laquelle il est si furieux contre Michael, Peter réaliserait peut-être que ce n'est pas la première fois qu’un collègue s’oppose ouvertement à lui, ce qui avait déjà nui à sa carrière par le passé. Si, au lieu de ressasser le passé, Peter se bornait à essayer de résoudre le problème qu’il a actuellement avec Michael, il éprouverait moins de ressentiment et de découragement, deux sentiments qui prendraient alors des proportions plus raisonnables. 

Enfin, les sentiments doivent être reconnus, c’est là un élément clé d’une discussion sur le « ressenti ». Dans une situation conflictuelle, vous ne pouvez pas contraindre l'autre partie à reconnaître vos sentiments, mais vous pouvez donner l’exemple en reconnaissant les siens. Ceci est particulièrement important si vous exercez à un niveau hiérarchique plus élevé ou si vous avez plus de pouvoir que l'autre partie.

Si Mona, en réponse aux reproches de Jenny, fait part de ses sentiments d'insécurité et de détachement par rapport aux autres membres de l'équipe, Jenny devrait en prendre acte : « On dirait que la situation te contrarie vraiment ».

Si Andrzej trouve le courage de dire à son directeur de thèse, Tom, qu'il souffre véritablement d’un manque de supervision adéquate, Tom devrait reconnaître ce que ressent Andrzej : « Cela semble vraiment important pour toi. À ta place, je me sentirais probablement découragé moi aussi ». La conversation reposerait ainsi sur une base beaucoup plus constructive.

Lorsque vous vous demandez si vous devez ou non avoir une conversation difficile et, par la suite, lorsque vous vous y préparez, gardez à l'esprit que ces discussions n'impliquent pas les sentiments de manière accessoire, mais portent surtout sur les sentiments. Vous serez peut-être alors plus enclin à explorer vos sentiments, tous vos sentiments, leur origine et la manière dont vous pouvez les influencer. Soyez prêt aussi à reconnaître les sentiments de l’autre partie.

Cette discussion sur les « sentiments » vous aidera à transformer une conversation difficile en une conversation instructive, susceptible de préserver et même d'améliorer la relation de travail. Rappelez-vous que l’ombud du CERN peut vous aider à vous préparer pour ce type de conversation.

Dans le prochain article sur le thème des « conversations difficiles », j’aimerais examiner avec vous la troisième et dernière partie, qui traite d’un sujet complexe : la conversation sur « l’identité ». Nous essaierons de comprendre comment une discussion peut constituer une menace pour l'histoire que nous nous racontons sur nous-mêmes.

Laure Esteveny

*     Les prénoms et les situations sont fictifs.

Cet article s'inspire du livre Comment mener des discussions difficiles, de Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila Heen, que je vous recommande. La version anglaise (Difficult Conversations) peut être empruntée auprès de la bibliothèque du CERN.

J’aimerais connaître vos réactions et vos suggestions : rejoignez l’équipe Mattermost de l’ombud du CERN à l’adresse suivante : https://mattermost.web.cern.ch/cern-ombud/.