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Les conversations difficiles (première partie) : « Que s’est-il passé ? »

Il nous arrive à tous d'avoir à affronter des conversations difficiles, c'est-à-dire que nous redoutons d’avoir, que ce soit au travail ou dans notre vie privée. Ce type de situation fait partie de la vie. Souvent, des personnes viennent voir l'ombud parce qu’elles ont besoin d’avoir une telle conversation, parce qu'elles ne savent pas comment entrer en matière, comment faire passer leurs messages et comment éviter des répercussions négatives sur la relation de travail.

Voici quelques exemples :

Peter* est de plus en plus mal à l'aise devant l'attitude d'un collègue, Michael*, qui depuis peu se met à le critiquer ouvertement, en s'efforçant de l'isoler du reste de l'équipe.  Il va falloir parler à Michael, mais Peter a peur de sa réaction.

Jenny* a besoin d'avoir une conversation sérieuse avec une personne de l'équipe qu'elle supervise, Mona*, qui, non seulement ne produit pas le travail attendu d'elle, mais fait des commentaires désagréables sur les contributions d'autres membres de l'équipe.

Andrzej* travaille d'arrache-pied à sa thèse de doctorat et a besoin d'un retour d'information de la part de Tom*, son superviseur. Mais, malgré plusieurs rappels, Tom ne prend pas la peine de donner un retour d'information approprié. Andrzej, ne sachant plus quoi faire, veut discuter franchement de la situation avec Tom.

Dans un excellent livre consacré à ce sujet, Comment mener les discussions difficiles[1], les auteurs expliquent que chaque conversation difficile cache en réalité trois discussions sous-jacentes :

  • une discussion sur ce qui s'est passé : il y a un désaccord sur les faits.
  • une discussion sur le ressenti : quels sont les sentiments et les émotions en jeu ?
  • enfin, une discussion identitaire : qu'est-ce que la situation révèle de moi, et de mon interlocuteur?

L’analyse proposée dans ce livre résonne tout particulièrement avec mon expérience en tant qu'ombud. Dans cet article, et les deux suivants, je vais vous exposer ces trois discussions sous-jacentes, et regarder ce qui s'y passe en réalité. 

La discussion sur ce qui s'est passé est la plus évidente, et va tendre à prendre toute la place lors de la conversation. Dans les trois cas que j'ai cités, les parties vont passer beaucoup de temps à ne pas être d'accord sur ce qui s'est passé : qui a dit quoi, qui a fait quoi, qui a raison, quelle était l'intention, à qui la faute. Être en désaccord n'est pas une mauvaise chose mais, lors de conversations difficiles, le désaccord semble être au cœur du problème.

Lorsqu'ils vont se préparer à leur conversation difficile, Peter, Jenny et Andrzej devront se rappeler que chacun de nous voit le monde différemment et que personne ne détient la vérité. Nous disposons d'informations limitées, et à partir de là, nous faisons nos observations. Puis nous interprétons ces observations, influencées par nos expériences passées, par nos valeurs propres et, tout naturellement, par notre propre intérêt dans l'affaire. Il n'est pas étonnant que les récits entrent en collision, simplement parce qu'ils sont différents.

La deuxième erreur, que nous faisons toujours au début d'un conflit, c'est d'imaginer les intentions de l'autre partie. Peter imagine que Michael a changé d'attitude parce qu'il est en compétition avec lui pour un poste. Jenny imagine que Mona surestime ses propres capacités. Andrzej imagine que Tom n'accorde aucune importance à la thèse sur laquelle il travaille d'arrache-pied.

En réalité, nous ne connaissons pas les intentions de l'interlocuteur. De plus, nous imaginons leurs intentions à partir de l'impact qu'a leur comportement sur nous (si je me sens mal à l'aise, c'est parce que cette personne a de mauvaises intentions) ; nous les jugeons (cette personne est malveillante), à partir des intentions que nous croyons comprendre. Inversement, il est à peu près certain que l'autre partie vous prête des intentions que vous n'avez pas, à partir de l'impact de vos actions sur elle, et vous juge d'après ces intentions supposées. Voilà encore une raison pour que la discussion tourne mal.

La troisième erreur que nous avons tendance à faire est de nous focaliser sur la question : « la faute à qui ? » Qui est dans son tort ? Qui a fait l'erreur ? Qui doit s'excuser, et qui a le droit de manifester une juste indignation ? Le problème, si on s'efforce de trouver un coupable, c'est que cela déclenche des réactions défensives de la part de l'interlocuteur, ce qui entrave la communication, et que cela nous empêche de comprendre ce qu'est véritablement le problème, dans quelle mesure nous y avons contribué, et comment le corriger.

Face à toutes ces embûches, comment pouvons-nous avoir une conversation qui autorise les deux parties à avancer ?

Les auteurs proposent une solution intéressante : installer au centre de la discussion un troisième récit. Ce n'est pas votre récit, ni celui de votre interlocuteur, mais c'est un récit que les deux parties sont prêtes à entendre et à accepter :

Pour arriver à ce troisième récit, il faut premièrement renoncer à ses certitudes et opter pour la curiosité. Si Peter, Jenny et Andrzej commencent la discussion en faisant preuve d'une réelle curiosité quant à la perspective de l'autre, et aux raisons qui l'expliquent, ce sera un bon début pour que la discussion soit efficace et ouverte.

Deuxièmement, il s'agit de cesser d'imaginer les intentions de l'autre. Rappelez à l'autre personne ce qu'elle a fait et l'impact que cela a eu pour vous ; soulignez que vous ne savez pas quelle était son intention. Surtout, interrogez-vous avec honnêteté sur vos propres intentions, qui peuvent être difficiles à démêler.

Troisièmement, il faut renoncer à chercher un coupable, ce qui ne sert à rien, et réfléchir plutôt avec l'interlocuteur aux contributions de chacun au problème. Demandez-vous, sans a priori, si vous ne faites pas vous-même partie du problème.

Plus facile à dire qu'à faire, mais en tant qu'ombud au CERN, cela me paraît tout à fait pertinent, car j'observe ces mécanismes chaque jour et ils sont particulièrement évidents pendant unemédiation. Je vous encourage à essayer ces principes quand vous entamez une discussion qui s'annonce difficile. Peut-être que vous n'arriverez pas au « troisième récit », mais l'application de ces principes vous rapprochera, vous et votre interlocuteur, d'une solution.

Dans le prochain article, je voudrais examiner avec vous comment les sentiments et les émotions jouent un rôle important dans ces conversations difficiles, et comment arriver à démêler cette part sous-jacente de la conversation?.

Laure Esteveny

*     Le prénom et la situation sont fictifs.

Cet article s'inspire du livre Comment mener des discussions difficiles,  de Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila Heen, que je vous recommande. La version anglaise (Difficult Conversations) peut être empruntée auprès de la bibliothèque du CERN.

J’aimerais connaître vos réactions et vos suggestions : rejoignez l’équipe Mattermost de l’ombud du CERN à l’adresse suivante : https://mattermost.web.cern.ch/cern-ombud/.

 

[1] Comment mener les discussions difficiles, de Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila Heen