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Comment notre cerveau reçoit le feedback

Mes prédécesseurs aux fonctions d'ombud ont déjà évoqué à plusieurs reprises dans leurs articles, en cette période de l'année où se déroulent les entretiens d'évaluation de performance, la manière de préparer ces entretiens et de donner un feedback à la personne qu'on encadre, ou à son propre superviseur. Je vous recommande de vous reporter à ces conseils, qui restent tout à fait pertinents et pourraient, quel que soit votre rôle, vous aider dans la préparation des entretiens MERIT.

En principe, l'idéal serait de donner du feedback en continu tout au long de l'année. Cependant, ce n'est pas facile de donner un feedback, et, que l'on soit d'un côté ou de l'autre de la table, on peut ressentir une certaine appréhension avant un entretien où il faudra évoquer un problème de performance, qui peut être également un problème d'efficacité de l’encadrement.

Je voudrais aujourd'hui offrir une perspective nouvelle sur le sujet, pour atténuer la réaction initiale de méfiance et de crainte que nous ressentons tous au moment de recevoir un feedback sur notre performance*.

Un feedback négatif est toujours ressenti comme un coup. Il montre que ce qui a été fait, ou bien la façon dont cela a été fait (ou les deux), n’est pas à la hauteur des attentes. Le plus souvent, dans une conversation difficile, l'interlocuteur est sur la défensive. Rien d'étonnant à cela, car ce type de situation est toujours perçu comme une menace par le cerveau. Les émotions négatives prennent le dessus, et la personne, souvent sans le vouloir, se ferme complètement à tout échange.

Centrez la discussion sur le résultat souhaité

Quand on examine un problème, y compris un problème de performance, on tend à adopter une approche déductive d'analyse, qui est tout à fait appropriée pour résoudre un problème technique, mais qui ne va pas beaucoup aider pour donner un feedback.

En fait, évoquer un problème de performance avec un collègue va vous amener généralement à examiner les différentes péripéties, avec leur déroulement, leurs circonstances, leurs causes, etc. et à aborder inévitablement de nouveaux problèmes. Or, dans le fonctionnement de notre cerveau, le fait d'avoir à l'esprit des difficultés passées produit des émotions, lesquelles déclenchent dans le système limbique une réaction de crainte et une attitude défensive.

Si vous essayez de résoudre des problèmes en vous appuyant sur votre expérience, vous allez tout naturellement faire le lien avec des expériences négatives. Plus vous établissez de liens avec ces expériences négatives, moins vous disposerez de ressources pour résoudre le problème concret le plus important, à savoir le problème de performance.

Dans ces conditions, pourquoi nous concentrons-nous autant sur les problèmes pendant les entretiens d'évaluation de performance ? C'est peut-être parce que se plonger dans le passé et réexaminer les circonstances de l'échec crée un sentiment de certitude, donc de confort. Notre cerveau aime la certitude et le confort, et va automatiquement fouiller dans les expériences passées pour essayer de les faire correspondre au problème soulevé, ce qui fera surgir de nouvelles émotions négatives. Par contre, repartir de zéro et se concentrer sur les solutions possibles pourrait, à première vue, sembler plus difficile, car cela amène à se plonger dans l'inconnu, et le cerveau n'aime pas l'incertitude.

Pour traiter un problème de performance, une approche efficace est de se concentrer sur le résultat désiré et non sur le passé. Le cerveau est un allié puissant, mais il ne peut pas traiter en même temps les problèmes et les solutions. Et donc, il faut choisir.

  • Quand on se concentre sur les problèmes, on est amené à activer les émotions négatives liées aux problèmes.
  • Quand on recherche des solutions, on prête attention aux multiples signaux de notre environnement, ce qui active l'hémisphère droit du cerveau. Cette activation est favorable à l'approche intuitive**, qui est la façon dont sont résolus les problèmes complexes.

Évitez de proposer des solutions

La résolution de problèmes est une activité épuisante, et vous pourriez avoir la tentation de fournir à votre collègue des solutions toutes prêtes. Malheureusement, proposer une solution pourrait vous faire apparaître comme une personne plus compétente, ce qui va menacer le statut de la personne que vous encadrez. Elle aura de plus le sentiment de ne plus avoir la maîtrise de la situation. Surtout, une solution qu'elle propose elle-même aura bien plus de chances d'être mise en œuvre. 

Essayez donc de résister à la tentation de résoudre vous-même le problème. Attendre qu'une autre personne propose ses propres idées suppose un effort, mais, si vous vous chargez de trouver des solutions à la place de vos collègues, ceux-ci se sentiront menacés et enclins à rejeter ces solutions.

Utilisez le modèle SCARF

Pour faciliter l'approche intuitive dans le cerveau de vos interlocuteurs, afin de sortir des impasses, vous pouvez recourir au modèle dit SCARF. L'acronyme SCARF se réfère aux notions de statut (status), de certitude (certainty), d'autonomie (autonomy), d'appartenance (relatedness) et d'équité (fairness).

Statut : montrez que vous respectez le statut de l'autre personne, au lieu d'insister sur votre autorité et votre rôle de superviseur. Certitude : faites preuve de clarté et de transparence sur vos propres objectifs. Autonomie : permettez à l'autre d'élaborer ses propres propositions face aux problèmes de performance. Appartenance : montrez ce que vous avez en partage : votre interlocuteur et vous êtes tous deux des individus ayant des compétences, des missions et des responsabilités, ainsi qu'une vie privée. Équité : montrez que votre processus d'évaluation de la performance est équitable.

Quand toutes ces conditions sont réunies, la réaction instinctive au feedback, à savoir la paralysie ou l'attaque, se trouve neutralisée, et les deux parties peuvent s'ouvrir aux échanges et attendre une issue positive à l'entretien.

Laure Esteveny

* Le présent article est inspiré par l'ouvrage Votre cerveau au bureau, de David Rock.

** On entend ici par « approche intuitive » une idée qui n'est pas le fruit d'un raisonnement logique, mais d'une recombinaison inédite des connaissances qui se trouvent dans le cerveau. Les intuitions sont essentielles dans le processus créatif qui conduit à la résolution des problèmes.

J’attends vos réactions : n’hésitez pas à m’envoyer un message à ombud@cern.ch. De même, si vous avez des suggestions de sujets que vous aimeriez voir traités, n’hésitez pas à m’en proposer.

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