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Non, ne faites rien !

Ma première mission en tant qu’ombud est d’écouter activement les personnes qui me rendent visite et m’expliquent la situation difficile à laquelle elles sont confrontées. L’écoute active me permet de comprendre la situation, d’évaluer son impact sur les personnes concernées et d’avoir une idée de leurs objectifs. Ce n’est qu’après avoir récapitulé ce qui a été dit pour vérifier avec mon interlocuteur que ma compréhension est correcte que nous réfléchissons ensemble à la suite à donner. Cela dépendra des besoins de la personne et de l’issue positive qu’elle espère obtenir.

Ma deuxième mission, très importante elle aussi, est de donner à la personne qui vient me voir les moyens de traiter son  problème. Je passe en revue avec elle ce qui a déjà été tenté et les résultats obtenus. Nous discutons des possibilités pour aller de l’avant. Les options offrant les meilleures chances de réussite sont celles qui sont suggérées par la personne elle-même. Pour cela, j’aime utiliser le tableau blanc, car j’ai pu voir combien la visualisation de la situation est un moyen efficace d’éclaircir les idées et de faire émerger des solutions. 

Lorsqu’une personne se trouve dans une situation difficile, je peux l’aider concrètement dans l’exploration de différentes voies informelles de résolution. Je peux contacter l’autre partie pour transmettre un message et tenter de renouer le dialogue. Je peux contacter le superviseur pour décrire une situation spécifique telle qu’elle est vécue par son subordonné, qui pourrait ne pas oser aller voir directement sa hiérarchie. Lorsque cela est approprié, je peux également orienter la personne qui me rend visite vers un autre canal. Je peux contacter le Service médical pour obtenir un rendez-vous rapidement, si nécessaire. Je peux également m’adresser au contact HR compétent afin de discuter de la situation.

Autant de moyens d’action informels possibles, à condition que la personne qui me rend visite m’autorise explicitement à le faire. Je ne fais rien sans son feu vert

Accepter que l’ombud intervienne peut être extrêmement bénéfique. Je peux aider à résoudre les malentendus dès qu’ils surviennent. Je peux exposer un problème au superviseur en replaçant la question dans le contexte des tendances systémiques de l’Organisation afin qu’aucune critique personnelle ne soit perçue. Je peux situer un problème dans le contexte du Code de conduite et des valeurs du CERN. Surtout, je peux me placer du point de vue de l’autre partie afin de faciliter le dialogue et de raviver l’empathie. 

Et pourtant, moins de 11 % des 151 personnes qui m’ont rendu visite en 2022 m’ont autorisée à intervenir et à agir de manière informelle pour contribuer à résoudre le problème. Ce chiffre est inférieur à celui de 2021, qui était de 13 %. Pourquoi est-ce si rare de donner à l’ombud la possibilité d’agir, au-delà de son rôle d’écoute et de recherche de solutions ? 

Divers motifs sont invoqués :

  • Dans certains cas, on me dit que c’est inutile : « Cela ne servira à rien, rien ne changera, j’ai déjà essayé. » 
  • Dans d’autres cas, si on me consulte, c’est simplement pour rechercher un nouveau point de vue sur la situation ou recevoir des conseils. 
  • Il arrive que de nouvelles recrues me disent : « J’aimerais juste vérifier si ce que j’ai vécu jusqu’à présent est considéré comme normal ici. » 
  • Il peut arriver que le problème soit si intime que la personne ne souhaite pas qu’il en soit fait état, même par l’intermédiaire de l’ombud. 
  • Assez souvent, la personne qui me rend visite a peur de ne pas être en mesure de faire face à un entretien difficile. Elle craint de se laisser emporter ou de fondre en larmes, même si je propose de modérer la conversation.

Voilà quelques-uns des motifs évoqués. Toutefois, dans la majorité des cas, si la personne n’autorise pas l’ombud à intervenir de façon informelle, c’est par peur de conséquences fâcheuses.

En effet, quand on est encore en période probatoire, qu’on attend une prolongation de contrat, qu’on est en train de rédiger sa thèse, qu’on a postulé pour un poste en LD, qu’on espère obtenir un contrat de durée indéterminée ou une promotion, il est bien difficile de s’exprimer librement, parce qu’on craint qu’une prise de parole n’ait des conséquences sur les décisions à venir concernant la carrière. 

Quand j’essaye de mieux comprendre ce qui fait peur, on me répond :

  • « Mon problème concerne mon chef direct, qui décidera de ma situation contractuelle. » En effet, la majorité des problèmes signalés (36 % en 2022) concernent des difficultés avec la hiérarchie. Les personnes qui me rendent visite se sentent parfois démunies face au pouvoir de leur chef. 
  • « J’ai peur que cela aggrave ma situation. »
  • « Je n’ai pas confiance dans le système. » Cette réaction exprime la méfiance envers la structure managériale en général ou les procédures du Laboratoire. 
  • Parfois, un superviseur, qui me fait part de ses difficultés dans la gestion de son équipe, ne veut en parler à personne d’autre. 
  • On me fait aussi part de la crainte que l’intervention de l’ombud puisse entraîner un préjudice pour d’autres collègues, que l’on souhaite protéger. 

On le voit bien, derrière tous ces motifs, ce qui se cache est la peur de s’exprimer

J’aimerais donc rappeler un extrait du  mandat de l’ombud :

« L’Organisation et les personnes travaillant au CERN ou pour le compte du CERN doivent apporter assistance et coopération à l’ombud dans l’accomplissement de sa mission. Les représailles ou tentatives de représailles à l’encontre d’une personne ayant contacté l’ombud ou coopéré avec lui ou elle ne seront pas tolérées et pourront entraîner des mesures disciplinaires. »

C’est aussi ce que Vincent Vuillemin, le premier ombud du CERN, avait souligné dans un article publié en juin 2011 et toujours valable aujourd’hui.

Et donc, si une personne qui me rend visite subit sous quelque forme que ce soit des conséquences négatives après m’avoir autorisée à agir de manière informelle dans le but de résoudre un conflit, je peux signaler ces actes de représailles aux services compétents.

Nous n’avons pas tous la même capacité à gérer les problèmes au travail. Certaines personnes sont mieux armées pour gérer les conflits et ont l’assurance nécessaire pour en discuter avec leurs responsables ou avec un tiers. Mais d’autres n’y arrivent pas, et continueront à se sentir mal à l’aise au travail, ce qui aura en définitive un effet néfaste sur leurs performances et leur santé. 

Alors, que faut-il faire pour que notre Laboratoire soit un milieu de travail offrant une situation de sûreté psychologique, pour que l’ensemble du personnel se sente en capacité de parler de ses problèmes sans crainte et ait confiance en l’aide que lui apportera sa hiérarchie ?

Il y aurait beaucoup à faire, notamment par des actions de sensibilisation. Mais, pour commencer, il faut peut-être que les responsables invitent les membres de leur équipe à leur parler des problèmes rencontrés, et les écoutent véritablement. Ils peuvent aussi leur rappeler que l’ombud se tient également à leur disposition pour les aider à discuter des problèmes rencontrés, étudier les solutions et, avec leur autorisation, à ouvrir concrètement la voie à une résolution informelle du conflit.  

Laure Esteveny

J’attends vos réactions : n’hésitez pas à m’envoyer un message à ombud@cern.ch. De même, si vous avez des suggestions de sujets que vous aimeriez voir traiter, n’hésitez pas à m’en proposer. 


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