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Démission douce

Même si je suis tout à fait consciente des différences intergénérationnelles, je n'avais pas réalisé à quel point l'attitude vis-à-vis du travail des générations dites Y et Z pouvait être, de manière générale, si différente de celle de la génération du baby-boom (ma génération). 

La question du rapport au travail s'est imposée naturellement lors d'une conversation que j'ai eue récemment avec deux jeunes de la génération Y, hautement qualifiés et en début de carrière. Voici ce que j’ai entendu : 

« Lorsque je discute avec mes camarades à l'université, je me rends compte que je travaille bien plus qu'eux, et je me demande si cela vaut vraiment la peine... »  

« Mon ami, B., nous a dit que c'est la dernière fois qu'il accepte un travail à 100 % et qu'il a autre chose à faire que travailler, et des choses bien plus importantes ». 

Surprise de les voir manifestement désorientés dans leur rapport au travail et à la carrière, j'ai essayé d'expliquer que, pour ma part, lorsque j'ai commencé à travailler, et tout au long de mon activité professionnelle, je me suis toujours donnée à 200 % et qu'il ne me serait jamais venu à l'esprit de remettre en question ce principe. 

Je leur ai également dit que, pour moi, se donner à fond dans son travail est la seule façon de continuer à apprendre et à se développer professionnellement et que cela finit toujours par payer… mais j’ai bien vu que je ne les convainquais pas vraiment.

Il se trouve que le lendemain, j'ai lu un article intéressant de l’entreprise de conseil en management Korn Ferry sur le concept de « démission douce » (en anglais « quiet quitting ») qui s’applique aux nouveaux arrivants sur le marché du travail, et qui consiste à ne pas faire plus que le travail demandé. 

Ce concept est illustré par une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. « On continue à faire son travail, mais sans adhérer à la mentalité selon laquelle le travail, c'est toute sa vie », commente le jeune homme dans la vidéo.

Qu'est-ce qui pousse de jeunes professionnels, au début enclins à se dépasser, dans leur intérêt mais aussi dans celui de leur entreprise, à « démissionner en douceur » seulement quelques années plus tard ?

En passant au crible les nombreux commentaires trouvés sur le web en rapport avec le hashtag #QuietQuitting, j'en ai trouvé quelques-uns pouvant apporter des pistes : 

  • « Se surpasser au travail ne vous fait pas avancer et ne vous rend pas plus heureux. »
  • « Travailler dur ne vous apporte rien, à part plus de travail. »
  • « En faisant le strict minimum, on est payé autant qu’en se donnant à fond. »
  • « Je me rends compte que je suis sous-payée par rapport aux tâches que j'effectue. »
  • « Mes chefs me dévalorisaient constamment, que je travaille bien ou pas. »
  • « La paie est la même, la reconnaissance est la même, tout est pareil, mais avec le stress en moins. »
  • « Pour moi, c'était la seule solution, après avoir traversé à mi-carrière une période d’anxiété sévère et une dépression. »

La perte de sens, l'absence de reconnaissance et la nécessité de préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée semblent être les principales motivations des jeunes générations pour démissionner en douceur.

Il faut aussi tenir compte du fait que les jeunes ne travailleront probablement pas toute leur vie pour le même employeur, et attendent donc de chaque employeur successif qu’il déploie des efforts pour les retenir ; ils ne sont pas prêts à se plier en quatre pour lui.

Même avec le ralentissement économique actuel, il y a une pénurie de compétences dans des domaines critiques et une entreprise ne peut pas se permettre d'avoir des employés en « démission douce ». Elle se doit d'être compétitive sur le plan des avantages offerts et de l’équilibre vie privée-vie professionnelle, et proposer un environnement de travail de qualité. 

Par ailleurs, selon les spécialistes, c'est également aux employeurs d’aller à la rencontre de leurs employés et de les aider à mettre en lien leur travail avec un objectif plus large. C'est là que les collègues les plus expérimentés ont un rôle essentiel à jouer pour transmettre leur savoir-faire et leurs connaissances, pour les aider à trouver un véritable sens à leur travail. 

Depuis mon poste d’observation en tant qu'ombud, je confirme qu'accorder une juste reconnaissance et favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée sont deux éléments essentiels pour détourner la nouvelle génération de la démission douce.

Il se peut que, en période de ralentissement économique, la vague de démissions douces soit de courte durée. Par ailleurs, le sentiment de perte de sens n’est peut-être pas aussi aigu dans un laboratoire de recherche comme le nôtre, mais nous devons toutefois avoir conscience du phénomène. Il faut également avoir conscience de l'impact qu'auraient un manque de reconnaissance, un sentiment d'injustice, ou encore des exigences irréalistes, sur une génération encline à la démission douce, une génération dont dépend l'avenir du CERN.

Laure Esteveny

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