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Leadership – ce n’est pas si simple

Dans son rapport annuel de 2020, mon prédécesseur au bureau de l'ombud pose une question difficile : pourquoi les relations avec la hiérarchie sont-elles la première source de conflits, d’après ce qu’on entend au Bureau de l'ombud ?

Cela appelle une autre question intéressante : pourquoi est-ce toujours le cas aujourd'hui, alors que notre Laboratoire a mis en place une offre considérable de formations de grande qualité en matière de management et de leadership ?

À cet égard, j'aimerais vous faire part de certaines conclusions importantes d'un rapport d'étude  du Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD), au Royaume-Uni, qui donne quelques pistes, et peut nous faire réfléchir sur cette question : faire preuve de leadership, même lorsque l'on dispose des compétences requises, ce n’est pas si simple.

En adoptant une perspective systémique, indépendamment du potentiel de tel ou tel manager, le rapport met en évidence certains facteurs organisationnels susceptibles de limiter la capacité des managers de mettre en pratique leur savoir-faire en management et en leadership, alors même qu'ils disposent, grâce aux formations et à l'expérience, de connaissances et de compétences spécifiques en la matière. 

Parmi ces facteurs, j'aimerais vous en présenter certains, qui m’interpellent tout particulièrement du fait de mon expérience en tant qu’ombud. Et j'espère que cela vous incitera à lire le rapport complet et à voir en quoi il vous interpelle dans votre propre pratique de management.

Hiérarchie et bureaucratie 

Il arrive qu’on demande aux managers à la fois de faire preuve de leadership et de respecter une ligne de décision hiérarchique. Face à ces deux injonctions, parfois contradictoires, les managers peuvent être découragés de prendre leurs propres décisions dès lors qu’ils ont été réprimandés plusieurs fois pour avoir pris des initiatives.

De même, et parce que les meilleures idées sur le plan pratique viennent des personnes qui font le travail, les managers devraient idéalement avoir suffisamment d’autonomie pour pouvoir employer les méthodes de travail jugées plus efficaces par leurs équipes. Toutefois, si l’on n’a pas prévu suffisamment de temps pour une planification prospective, il sera plus compliqué d'obtenir des retours d'informations de la base. Cela peut amener les managers à passer leur temps à éteindre des incendies et à adopter un style de management directif. Même les managers ayant bénéficié d'une formation et d'un développement spécifiques en matière de leadership peuvent avoir du mal à concilier, d'une part, les orientations stratégiques communiquées par leurs supérieurs hiérarchiques, et, d'autre part, les besoins et intérêts quotidiens de leurs collaborateurs.

Par ailleurs, comme le souligne le rapport, la ligne hiérarchique classique, où, pour prendre une décision, le manager en réfère au niveau supérieur, peut ralentir le travail collaboratif entre groupes ou départements. 

Toujours sur cette question du poids de la bureaucratie, lorsque les managers expérimentés, censés mettre en œuvre rapidement le changement, ne sont pas associés aux réflexions sur les orientations choisies, il est possible qu’ils n’adhèrent pas eux-mêmes à l'objectif des activités, du programme ou des projets concernés. 

Enfin, dans le cas des organisations qui procèdent régulièrement à des restructurations et sont toujours en mouvement, si des changements sont proposés alors que ceux du programme précédent n’ont pas encore été assimilés, les managers peuvent avoir le sentiment de manquer du temps nécessaire pour adopter de nouvelles procédures et les faire appliquer au sein de leur équipe. 

Concentration sur le court terme et les résultats

Lorsque les processus de gestion de la performance et de promotion se concentrent sur les objectifs de performance liés aux tâches, le risque est d’oublier que le travail des managers est radicalement différent d’un rôle d’exécution des tâches opérationnelles. En effet, le rôle des managers est principalement de gérer et d'influencer des personnes, ce qui exige des compétences bien spécifiques. Or, si les leaders savent qu'ils seront principalement jugés sur la façon dont ils atteignent leurs objectifs opérationnels, ils risquent de se concentrer sur la réalisation d'objectifs de performance à court terme et non sur la responsabilisation de leur personnel. 

Si les personnes qui sont promues à des postes d'encadrement sont celles qui ont les meilleures performances opérationnelles, sans que leur potentiel de leadership soit pris en compte, ou si la bonne performance d’une personne fait accepter qu’elle ait un comportement médiocre, les efforts investis dans la formation et le développement n’atteindront peut-être pas leur cible. 

Par ailleurs, les contraintes liées aux ressources font qu'il peut être difficile pour les managers de se montrer souples face aux besoins du personnel, et certains choix visant à réduire les coûts ne font qu'ajouter des processus supplémentaires (recours accru aux membres du personnel associés, gestion des contractants, suppression/rationalisation de services d'appui centralisés, etc.). 

Individualisme

En théorie, pour les managers situés en première ligne, ou en milieu de ligne hiérarchique, les objectifs portent sur la gestion de leur équipe. Toutefois, en période de réduction des coûts et de concurrence pour les ressources, les choix qu’ils font individuellement sont parfois dictés par un contexte où ils ont l’impression d’évoluer en mode « survie ». Ils risquent alors de concentrer leurs efforts sur ce qui est susceptible de servir leur intérêt personnel, et ne seront pas prêts à sacrifier les résultats pour responsabiliser leur personnel.

Si le processus de gestion de la performance renforce le message selon lequel la réalisation des objectifs opérationnels prime sur le développement des personnes, et si ce processus se concentre sur les performances individuelles, les managers seront davantage incités à trouver des défauts dans la performance des membres de leur équipe qu’à mettre en avant leurs succès. 

Uniformité et absence de diversité

Aujourd'hui, le défi pour les leaders et les managers est de valoriser la diversité dans leurs équipes. Par diversité on entend non seulement une diversité de caractéristiques démographiques au sein d'une équipe, mais également une diversité de façons de travailler, de types de motivations et d'avis sur la meilleure façon d'effectuer le travail. 

Or, les processus de gestion du personnel peuvent involontairement favoriser l'uniformité et non la diversité. Pour éviter cet écueil, il faut, lors des processus de sélection et de promotion, évaluer les candidats de façon objective et complète, et éviter de faire un choix résultant d'une ressemblance inconsciemment constatée entre l’évaluateur et le candidat. 

De plus, l'existence de cadres trop prescriptifs peut restreindre la libre appréciation du manager. Même si les managers ont pour consigne de tenir compte dans les évaluations de performance des comportements des intéressés, ceux-ci sont difficiles à mesurer objectivement, compte tenu de l'éventail infini des comportements au sein d'une équipe diverse. C'est pourquoi les managers peuvent être amenés à s’en remettre à la réalisation des objectifs pour différencier les performances individuelles. 

En tant que manager expérimenté et entièrement formé, vous avez, en théorie, la capacité de responsabiliser, de motiver et de mobiliser vos équipes. Si cela vous est difficile, c’est peut-être que les processus organisationnels ne vous donnent pas toujours la possibilité d'appliquer, dans la pratique, ces compétences managériales. Réfléchissez à la façon dont ces facteurs organisationnels affectent votre gestion de l’équipe au quotidien, et essayez de voir comment vous pourriez limiter leur influence, afin d'exploiter au mieux vos capacités de manager.

Laure Esteveny

J’attends vos réactions, n’hésitez pas à m’envoyer un message à ombud@cern.ch. De même, si vous avez des suggestions de sujets que vous aimeriez voir traiter, n’hésitez pas non plus à m’en proposer. 

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