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Attention à cette petite voix intérieure qui nous dit : « Prudence... »

Cela vous est peut-être déjà arrivé : vous écoutez quelqu'un parler et, même si ce qui est dit a l’air raisonnable, vous avez un sentiment de malaise. Sans pouvoir mettre précisément le doigt sur le problème, vous commencez à vous interroger sur les motivations de la personne en face de vous, et avez de plus en plus la sensation qu'elle vous manipule. La manipulation peut prendre de nombreuses formes, et se dissimuler derrière une apparence de vulnérabilité, de bonnes intentions ou d’un souci du bien de l'équipe. Et si elle n'est pas gérée correctement, elle peut créer un environnement de travail particulièrement toxique. Elle se distingue de l’influence interpersonnelle qui s’exerce normalement dans une relation saine par une caractéristique essentielle : les buts véritables du comportement sont, soit obscurs, soit différents de ceux affichés. Il faut donc parfois du temps avant de réaliser que l'on a été berné.

Éric constate que, lors de chaque réunion, son collègue Pierre le contredit. Lorsqu'il le prend à part pour en discuter, il est surpris d'apprendre que Pierre a le sentiment que la hiérarchie ne tient pas compte des besoins d'Éric ; contrairement aux apparences, les remarques de Pierre ont pour but de montrer les difficultés auxquelles Éric fait face afin qu'il en soit tenu compte. Éric accepte cette explication et refuse d’admettre ce qu’il ressent au fond de lui, à savoir qu’il fait en permanence l'objet d'attaques personnelles. Les semaines passent, et il constate qu'il est de moins en moins soutenu par ses collègues, jusqu'au jour où son chef de groupe l'informe que le projet doit changer d'orientation stratégique et sera dorénavant dirigé par Pierre.

Quand on comprend que l'on a été victime d’une manipulation, il est souvent trop tard pour réagir ; en laissant faire, pendant trop longtemps, on y a en fait collaboré sans le vouloir. On ne peut que ressentir de l’amertume devant l’injustice de la situation, et aussi un sentiment de doute ou de colère envers soi-même : pourquoi n’ai-je pas suivi mon intuition, qui m’a pourtant envoyé des signaux d'avertissement ? Des études scientifiques ont montré que l'intuition, loin d'être arbitraire, s'appuie sur des signaux captés inconsciemment, relatifs en particulier à des contradictions  minimes entre le langage verbal et non verbal, et nous avertit que quelque chose cloche. Dès lors, ce qui importe, c’est la manière dont nous choisissons d'interpréter ces signes et la réponse que nous apportons. Que faire dans ce genre de situation ? On peut aller droit au but et poser la question directement : « J'apprécie que tu aies à cœur que ces difficultés soient prises en compte, mais j'ai l'impression qu’il y a autre chose. On peut parler de ce qui te préoccupe pour voir si on peut trouver ensemble une solution? »

Cette manière de procéder peut encourager l'autre personne à révéler ses vraies motivations, comme un besoin de visibilité personnelle ou de reconnaissance sur le plan technique ; ces motivations doivent pouvoir apparaître au grand jour pour qu'une solution puisse être trouvée. Mais parfois, l'autre personne choisit de s'en tenir à sa version initiale. Dans ce cas, on ne peut qu'accepter ce qu’elle dit. Il est alors toutefois conseillé de prêter attention à cette petite voix intérieure qui nous dit : « Prudence… », et de garder une attitude d’extrême vigilance. 

Sudeshna Datta Cockerill